Le Comité contre la torture est chargé de surveiller les États en ce qui a trait à l’observation des dispositions de la Convention, d’examiner les allégations de violations systématiques de la CCT qui pèsent contre les États parties, de fournir des recommandations pour aider à améliorer l’observation, et de soumettre des rapports annuels aux intervenants de la CCT ainsi qu’à l’Assemblée générale.
Les États parties présentent au Comité, par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, des rapports sur les mesures qu’ils ont prises pour donner effet à leurs engagements en vertu de la présente Convention, dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la Convention pour l’État partie intéressé. Les États parties présentent ensuite des rapports complémentaires tous les quatre ans sur toutes nouvelles mesures prises, et tous autres rapports demandés par le Comité.
Le Secrétaire général des Nations Unies transmet les rapports aux États parties. Le Comité peut décider d’inclure des commentaires dans son rapport annuel, et d’ajouter des observations reçues de l’État partie concerné. Selon la CCT : « Si le Comité reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications bien fondées que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire d’un État partie, il invite ledit État à coopérer dans l’examen des renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet ».
Le Canada a présenté son sixième rapport au Comité, le 4 octobre 2010 (pour la période de 2004 à 2007), et a affirmé que « tous les paliers du gouvernement canadien connaissent et prennent au sérieux leurs obligations relatives aux conventions, ce qui comprend les obligations visées par la Convention contre la torture… [Toutefois] il semble excessif de s’attendre à ce qu’un pays réponde simultanément et de façon efficace aux questions en provenance de plusieurs organismes… dans tous les cas, le Canada continuera à défendre l’avancement de la liberté, les droits de l’homme fondamentaux, la démocratie, et la primauté du droit, et à prendre des positions de principe afin d’appuyer ces valeurs fondamentales canadiennes. »
À la suite du Sixième Rapport du Canada, le Comité a publié ses observations définitives qui comprenaient des recommandations que le Canada devait suivre pour améliorer son observation de la CCT.
Aspects positifs du rapport du Comité
Le Comité prend note des efforts actuellement déployés par le Canada pour revoir sa législation, ses politiques et ses procédures dans les domaines relevant de la Convention, notamment :
La création de la Division d’appel pour les réfugiés au sein de la Commission indépendante de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de la loi de 2011 sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés;
La réalisation d’une enquête interne sur les actions des autorités canadiennes dans les affaires concernant Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin (enquête Iacobucci), en décembre 2006;
L’établissement du Comité de priorités et d’action pour la mise en œuvre du rapport Ipperwash par le Gouvernement de l’Ontario, en 2007, afin de mettre en œuvre les recommandations figurant dans le rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash;
L’établissement du Comité de partenariat provincial sur les personnes disparues dans la province de Saskatchewan, en janvier 2006;
L’enquête Braidwood ouverte par la province de la Colombie britannique, en 2008, afin d’examiner le cas de Robert Dziekanski.
Le Comité note également avec satisfaction (a) que le Canada a présenté des excuses officielles et a versé une indemnisation à Maher Arar et à sa famille peu après la publication d’un rapport sur Maher Arar par la Commission d’enquête sur les actions des autorités canadiennes; et (b) que la police montée canadienne a présenté des excuses officielles à la mère de Robert Dziekanski suite au décès de ce dernier.
Principaux sujets de préoccupation et recommandations du Comité
Le rapport du Comité a recensé plusieurs sujets de préoccupation, notamment, l’intégration incomplète de la Convention à l’ordre juridique interne du Canada; le nonrefoulement (c’est-à-dire, permettre la déportation malgré le risque de torture); le recours à des certificats de sécurité en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés; le recours à la détention pour régler les questions relatives à l’immigration; le manque de volonté du gouvernement envers l’application de la compétence universelle en vertu de la Loi sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité; le manque de mesures efficaces de réparation civile pour les victimes de torture; la torture et les mauvais traitements des Canadiens détenus à l’étranger; l’utilisation de renseignements obtenus sous la torture; le besoin d’amélioration des mécanismes de surveillance relatifs aux opérations de sécurité et de renseignements; les conditions des personnes en détention; la violence faite aux femmes, en particulier aux femmes et aux filles autochtones; l’utilisation des armes à impulsions (par exemple, les « tasers »); le contrôle des foules effectué par les services de police; et un mauvais recueil de données relatives à la mise en œuvre de la Convention.
Le Comité recommande notamment :
- Que le Canada incorpore toutes les dispositions de la Convention dans son droit interne afin que les personnes puissent en invoquer directement les dispositions devant les tribunaux, d’accorder la primauté à la Convention et d’en faire mieux connaître les dispositions aux membres de la magistrature et à l’ensemble de la population;
- Le Comité demande instamment au Canada de modifier les lois pertinentes, notamment la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, afin de respecter sans condition le principe absolu de non-refoulement (expulser quelqu’un vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture) consacré par l’article 3 de la Convention;
- Le Canada devrait adopter une politique pour ses prochaines opérations militaires afin d’interdire expressément les transfèrements de prisonniers vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’ils seront soumis à la torture;
- Que le Canada révise sa politique consistant à recourir à la rétention administrative et à utiliser la législation sur l’immigration pour détenir et expulser des non-ressortissants au nom de la sécurité nationale, notamment en reconsidérant l’utilisation des certificats de sécurité et en veillant à faire appliquer l’interdiction d’utiliser des renseignements obtenus sous la torture, conformément à la législation nationale et au droit international;
- Que le Canada modifie le projet de loi C31 (Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada), en particulier les dispositions régissant la rétention obligatoire et le déni du droit d’appel, compte tenu des risques de violation des droits protégés par la Convention;
- Que le Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour garantir l’exercice de sa compétence universelle à l’égard des auteurs d’actes de torture, y compris des étrangers temporairement présents au Canada, conformément à l’article 5 de la Convention. Le Canada devrait redoubler d’efforts afin de s’assurer que dans le cadre de sa politique consistant à refuser d’abriter des criminels de guerre, la priorité soit accordée aux procédures pénales ou d’extradition plutôt qu’à l’expulsion et au renvoi.
- Que le Canada veille à ce que toutes les victimes de torture puissent avoir accès à des recours et obtenir réparation, quel que soit le pays où les actes de torture ont été commis et indépendamment de la nationalité de l’auteur ou de la victime. À cet égard, le Canada devrait envisager et modifier la loi sur l’immunité des États pour supprimer tous les obstacles qui empêchent les victimes de torture d’obtenir réparation.
- À la lumière des conclusions de l’enquête Iacobucci, le Comité recommande au Canada de prendre immédiatement des mesures pour s’assurer qu’Abdullah Almalki, Ahmad Abou Elmaati et Muayyed Nureddin obtiennent réparation, y compris une indemnisation et une réadaptation appropriées. En outre, le Comité exhorte le Canada à accepter rapidement la demande de transfert d’Omar Khadr et à veiller à ce que celui-ci puisse obtenir réparation pour les violations des droits de l’homme dont il a été victime, comme l’a constaté la Cour suprême du Canada;
- Le comité recommande au Canada de modifier la Directive ministérielle adressée au Service canadien du renseignement de sécurité (l’utilisation au Canada de renseignements de sécurité susceptibles d’avoir été obtenus sous la torture par des États étrangers) afin de la rendre conforme aux obligations qui incombent au Canada en vertu de la Convention;
- Que le Canada déploie des efforts supplémentaires afin de mettre en œuvre les propositions du rapport sur les politiques, présenté à la suite de l’enquête Arar, ce qui permettra de renforcer le mécanisme de surveillance des opérations de sécurité et de renseignements;
- Que le Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les conditions de détention dans tous les lieux de privation de liberté soient conformes à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Il devrait notamment :
a) Renforcer ses efforts pour adopter des mesures efficaces afin d’améliorer les conditions de vie matérielles dans les prisons, de réduire la surpopulation carcérale, de répondre correctement aux besoins fondamentaux des personnes privées de liberté et d’éliminer la drogue dans les prisons;
b) Renforcer la capacité des centres de traitement pour les prisonniers atteints de problèmes de santé mentale intermédiaires et graves;
c) Appliquer l’isolement cellulaire en dernier recours seulement, pour une période aussi courte que possible, sous une supervision stricte et en ménageant la possibilité d’un examen judiciaire; et
d) Ne plus recourir à l’isolement cellulaire pour les personnes atteintes de graves maladies mentales.
- Que le Canada redouble d’efforts pour mettre un terme à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des jeunes filles autochtones, notamment, en élaborant un plan d’action concerté et complet, en étroite collaboration avec les organisations de femmes autochtones, qui comprenne notamment des mesures visant à enquêter de façon rapide et impartiale sur les disparitions et les meurtres de femmes autochtones, et à poursuivre et condamner leurs auteurs;
-
Compte tenu des effets dangereux et mortels des armes à impulsions sur la santé physique et mentale des personnes qui en sont la cible, effets qui peuvent constituer des violations des articles 2 et 16 de la Convention, le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que ces armes soient utilisées exclusivement dans des situations extrêmes et restreintes. … En outre, l’État partie devrait envisager de renoncer à utiliser des armes à impulsions telles que les « tasers ».
- Que le Canada renforce ses efforts pour veiller à ce que toutes les allégations de mauvais traitement et d’usage excessif de la force par la police fassent rapidement l’objet d’enquêtes efficaces de la part d’un organe dépendant et que les auteurs de ces actes soient poursuivis et punis par des peines appropriées. En outre, l’État partie et le gouvernement de la province de l’Ontario devraient ouvrir une enquête sur les agissements de la police provinciale de l’Ontario lors des incidents de Tyendinaga, ainsi que sur les opérations de sécurité et de police qui se sont déroulées dans le cadre des sommets du G8 et du G20.
- Que le Canada compile des données statistiques pertinentes pour la surveillance de l’application de la Convention au niveau national.
En août 2013, dans son Rapport intérimaire faisant suite à l’examen du sixième rapport du Canada, le Canada a effectué un suivi et a fourni les renseignements que le Comité a demandés dans ses observations finales qui portaient sur quatre sujets de préoccupation.